Discours de la Présidente von der Leyen à l'occasion du 90ème anniversaire des Grandes Conférences Catholiques

Monsieur le Président des Grandes Conférences Catholiques:

Monsieur Cornu,

Chers invités,

Mesdames et Messieurs,

En 90 ans d'histoire, les Grandes Conférences Catholiques ont accueilli les esprits les plus brillants de chaque génération. Des lauréats du prix Nobel et des membres de familles royales. De grands présidents et philosophes. Les hommes qui ont construit une Europe unie, et ceux qui ont fait tomber le Mur de Berlin.

Je suis donc reconnaissante de me joindre à vous ce soir. D'autant plus que je suis Ixelloise de naissance. Je suis née à Bruxelles, et j'ai toujours beaucoup aimé cette ville pour son côté à la fois si intimiste et si ouvert sur le monde.

Les Grandes Conférences Catholiques ont contribué à forger cet esprit. C'est un endroit où la tradition rencontre la modernité, où la ville rencontre le monde.

Merci de m'avoir fait l'honneur de m'inviter.

Ce soir, je vous parlerai du travail que nous avons accompli dans les institutions européennes. Mais j'aimerais aussi vous parler de certaines idées en lesquelles je crois. De ma conception de la politique. Je parlerai des vaccins et de la relance par la suite.

Mais lors d'une crise d'une telle ampleur, il est important de toujours garder à l'esprit ce qui guide notre action quotidienne.

Ce qui nous donne la force de “combattre le bon combat”, chaque jour. C'est une conception de la politique que j'ai apprise de mon père, qui était fonctionnaire ici à la Commission européenne, avant de se présenter aux élections en Allemagne.

Je pourrais la résumer en trois lignes:

la politique comme service à la communauté;

la politique comme responsabilité personnelle;

et la politique comme vision et pragmatisme.

C'est ce qui m'a amenée à faire de la politique au niveau local, il y a plus de vingt ans. Et j'ai redécouvert ces trois idées ces derniers mois, depuis le début de la crise du coronavirus.

 

Premièrement, la politique comme service. Lorsque la pandémie a frappé l'Europe, des millions d'Européens ont retroussé leurs manches et cherché à aider leur voisin dans le besoin. Nous les avons vus en action, ici en Belgique. Les bénévoles, qui faisaient les courses pour les personnes âgées. Les prêtres, qui essayaient d'aider les personnes ayant perdu leur travail. Les associations, qui ont récolté des fonds pour soutenir les hôpitaux. Ils sont les Bons Samaritains de notre époque.

Le Samaritain est quelqu'un qui décide de donner de son temps et de son argent pour aider un homme blessé, sur le bord du chemin. Cette année, l'humanité dans son ensemble a été blessée. Mais au milieu de cette souffrance, nous avons rencontré tant de Bons Samaritains sur notre chemin.

Chacun d'eux a demandé:

“Comment puis-je aider mon voisin?”

“Comment puis-je servir ma communauté?”

Et pour moi, ils ont été une immense source d'inspiration. Parce que c'est de cela qu'il devrait toujours s'agir en politique. Comment puis-je servir ma communauté?

Depuis le début de la pandémie, l'Europe a travaillé pour suivre  l'exemple du Bon Samaritain. Au tout début, nous avons procédé à des achats communs de masques et d'équipements de protection, comme première ligne de défense. Nous avons ensuite financé la toute première initiative européenne en matière de chômage partiel, pour sauver emplois et entreprises.

Et enfin, nous avons mis sur pied un plan de relance – appelé NextGenerationEU qui aidera tous les Européens à sortir de cette crise, ensemble. Nous avons mis notre puissance collective au service de tous les citoyens et pays d'Europe. En commençant par les plus durement touchés.

C'est cela “la politique comme service”. C'est le fondement de la pensée démocratique de l'Europe, mais aussi des célèbres paroles du président Kennedy: “Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.” Ceci m'amène à ma deuxième réflexion.

 

La politique comme responsabilité personnelle. Ces dernières années, les populistes ont cherché à trouver des boucs émissaires et non des solutions. Y compris ici, en Europe. Le débat public est devenu un jeu de reproches dans lequel la question centrale est “à qui la faute?”, plutôt que “comment puis-je aider?”

Ce n'est pas ma conception de la politique. Lorsque la pandémie a frappé, il aurait été facile pour nous – dans les institutions européennes – de nous retrancher derrière la question des compétences.

La santé est une compétence nationale.

Et pourtant, j'ai toujours pensé que nous devions prendre nos responsabilités, individuellement et collectivement. Je voulais que l'Europe contribue à trouver une solution. Et en fait, l'Union européenne a tant à apporter.

Pensez aux vaccins. Jamais auparavant l'Union européenne n'avait négocié avec des entreprises pharmaceutiques, au nom des États membres. Mais cette fois, il y avait au moins trois bonnes raisons de le faire.

La première: réduire et répartir le risque. Lorsque nous avons engagé des discussions avec les entreprises pharmaceutiques, personne ne savait combien de vaccins seraient sûrs et efficaces. Des centaines d'entreprises travaillaient sur un vaccin. Certaines d'entre elles étaient de grandes entreprises, qui utilisaient des méthodes traditionnelles et bien établies. D'autres étaient de plus petites entreprises, utilisant des technologies innovantes, dont les perspectives de réussite étaient incertaines. Parmi ces entreprises innovantes figuraient BioNTech, CureVac et Moderna. Devions-nous parier sur les grands acteurs bien établis? Ou sur ceux qui innovent?

Notre stratégie a toujours été de répartir les risques. Il nous fallait investir dans le plus grand nombre possible de vaccins. Ce faisant, nous avons accru nos chances de parier sur le bon cheval.

Nous avons également permis à de petites entreprises pharmaceutiques de renforcer leurs capacités de production. Aucun pays européen n'aurait pu, à lui seul, investir dans un portefeuille de vaccins aussi large. Et sans l'aide de l'Union européenne, il n'aurait pas été possible de produire autant de vaccins aussi vite.

Deuxièmement, quand l'Europe négocie avec les entreprises pharmaceutiques elle est beaucoup plus forte que chaqu'un des 27 Etats-Membres individuellement. Notre pouvoir d'achat est plus grand face aux fabricants pharmaceutiques. Et nous pouvons obtenir de meilleures conditions, par exemple en matière de responsabilité, de délais de livraison et de prix.

Troisièmement, quand nous agissons ensemble tous les Européens ont le même accès au vaccins. Si l'Union européenne n'était pas intervenue, il aurait été plus difficiles pour les plus petits États membres de se procurer assez de vaccins. Au lieu de cela, nous avons veillé à ce que l'ensemble des 27 pays reçoivent les premiers vaccins le même jour: le 27 décembre.

Et si tous les vaccins de notre portefeuille obtiennent le feu vert, nous aurons 2,3 milliards de doses pour 450 millions d'Européens et pour nos voisins proches. Parce que l'Europe a pris ses responsabilités. Nous sommes intervenus, et nous avons fait la différence, pour tous les Européens.

 

Mon troisième et dernier point traite de l'alliance entre l'ambition et le réalisme. La politique comme vision et pragmatisme.

Il est important, notamment en période de crise et d'incertitude, que la politique se fixe un cap clair. Et qu'elle ait une vision claire de l'avenir. Mais elle a aussi besoin de dirigeants capables de trouver les moyens appropriés pour réaliser cette vision.

C'est la leçon à apprendre des fondateurs de l'Europe. Robert Schuman rêvait d'unir notre continent après deux guerres mondiales dévastatrices. Nombreux étaient ceux qui avaient le même rêve. Mais Schuman avait compris que le rêve devait être fondé sur quelque chose d'aussi concret et pragmatique que possible.

Le charbon et l'acier. C'était, selon ses propres termes, «un point limité mais décisif». La mise en commun des productions de charbon et d'acier était une étape concrète et réaliste et elle pouvait changer le destin de l'Europe à jamais.

Je pense que chaque nouvelle génération de dirigeants européens se trouve face à une tâche similaire. Définir une vision de l'avenir de l'Europe.

Et trouver les étapes concrètes qui peuvent nous rapprocher de l'objectif, ici et maintenant. C'est ce que nous avons tenté de faire depuis le début de notre mandat, tout au long de la pandémie. Nous nous sommes fixé certains objectifs ambitieux pour l'avenir de l'Europe.

Réconcilier notre économie avec la santé de notre planète – notre pacte vert pour l'Europe. Renforcer notre souveraineté au sein du monde numérique. Et réconcilier la dimension sociale et le marché dans notre économie. C'était notre objectif il y a un an, et ça l'est toujours:

une Europe verte, numérique et équitable. Et avec notre plan de relance, NextGenerationEU, nous avons créé un outil incroyablement puissant pour atteindre cet objectif.

Permettez-moi de vous expliquer brièvement pourquoi.

Sur le climat: Les Grandes Conférences Catholiques ont accueilli au fil des années plusieurs experts sur le changement climatique. Je n'ai pas besoin de vous convaincre qu'il est urgent d'agir.

Nous devons assumer la responsabilité de la Création, qui nous a été confiée mais qui ne nous appartient pas. C'est pourquoi, depuis le début de mon mandat, j'ai fixé des objectifs ambitieux pour réduire notre empreinte sur l'environnement.

Notre principal objectif est de parvenir à la neutralité climatique d'ici à 2050.

Et pour y parvenir, nous devons réduire nos émissions de 55 % dès la prochaine décennie. Mais il y a bien plus. Nous avons aussi fixé des objectifs concernant l'utilisation des pesticides, le recyclage, le reboisement, l'économie circulaire, et la liste n'est pas terminée.

Notre pacte vert pour l'Europe est pour nous d'une importance comparable aux premiers pas de l'homme sur la Lune. Parce qu'en effet, nous visons les étoiles. Et pour y parvenir, nous avons défini un plan par étapes très clair. Nous avons une vision pour l'avenir et nous savons comment la mettre en pratique.

Certains pourraient penser qu'en temps de crise économique, l'action en faveur du climat peut attendre. C'est le contraire qui est vrai. La recherche montre que les investissements dans les énergies renouvelables créent deux fois plus d'emplois que les investissements dans les combustibles fossiles.

Le pacte vert pour l'Europe est bon pour l'environnement et pour l'économie. C'est notre nouvelle stratégie de croissance. Et grâce à notre Fonds de relance NextGenerationEU, nous pouvons favoriser et accélérer une relance véritablement verte.

Par exemple, nous voulons investir dans l'hydrogène renouvelable. Un puissant combustible pour l'industrie lourde qui ne pollue pas notre atmosphère. Mais il ne s'agit pas seulement des grandes industries. Nos bâtiments – y compris nos logements individuels – représentent 40 % de nos émissions de carbone. Nous allons donc investir dans la rénovation et la modernisation des bâtiments – tant publics que privés. NextGenerationEU a beaucoup à offrir aux familles et aux entreprises dans toute l'Europe.

Plu d'un tiers de NextGenerationEU – environ 250 milliards d'euros – financera une relance verte. Avec NextGenerationEU, nous pouvons nous rapprocher beaucoup plus de nos objectifs climatiques. Il s'agit d'un pas concret vers notre vision d'un continent plus vert. Ce sont là nos objectifs en matière de climat.

Permettez-moi de vous dire également quelques mots sur nos objectifs numériques. L'économie numérique contribue déjà énormément à la croissance en Europe. Nul besoin d'aller loin pour s'en rendre compte.

La ville belge de Louvain a été désignée capitale européenne de l'innovation l'année dernière. Certaines découvertes révolutionnaires viennent de là – dans le domaine des technologies de la santé, par exemple. De nouveaux médicaments, de nouveaux appareils médicaux et de nouveaux logiciels sont conçus à quelques kilomètres d'ici.

Nous, Européens, avons le potentiel pour être leaders mondiaux de la transition numérique. Mais nous ne sommes pas encore les leaders que nous pourrions être.

Pendant des années, les entreprises numériques européennes ont rencontré bien pluss d'obstacles que leurs concurrents. Notre investissement dans l'intelligence artificielle a pris du retard par rapport à celui des États-Unis et de la Chine. En conséquence, trop de start-ups européennes sont parties pour pouvoir se développer. Je veux que cela change.

Je veux que les années 2020 soient la décennie numérique de l'Europe. C'est pourquoi 150 milliards d'euros de NextGenerationEU financeront l'investissement dans le numérique. Nous investirons dans des technologies de pointe, telles qu'une nouvelle génération de superordinateurs fabriqués en Europe. Mais nous nous efforcerons également de faire profiter chaque entreprise européenne et chaque travailleur européen des avantages de l'ère numérique.

NextGenerationEU peut permettre le déploiement de l'internet à haut débit dans les villages européens les plus reculés. Il peut aider les petites entreprises à apprendre comment utiliser l'intelligence artificielle dans leur travail quotidien. Il peut créer de nouveaux pôles d'innovation, comme celui que vous avez à Louvain. Et ce faisant, il permettra la création de nouveaux emplois qui seront essentiels à la relance européenne.

 

L'Europe s'est construite sur le charbon et l'acier.

Avec NextGenerationEU, l'Europe peut se reconstruire sur l'écologie et le numérique.

Notre vision d'une Europe meilleure ne serait pas complète sans une troisième dimension – la dimension sociale.

C'est d'autant plus urgent en temps de crise et de relance. Il y aura des secteurs et des entreprises qui se redresseront plus rapidement. Et d'autres connaîtront davantage de difficultés et de revers.

L'Europe doit être là pour tous. Pour chaque secteur et chaque région. Pour une relance juste, qui ne laisse personne de côté. Certains travailleurs auront besoin de nouvelles compétences. Pensez, par exemple, aux métiers de la construction qui rendront nos logements plus économes en énergie.

L'année dernière, nous avons présenté une stratégie en matière de compétences, afin de garantir l'accès à l'éducation, à la formation et à l'apprentissage tout au long de la vie pour tous.

La dimension sociale ne concerne pas seulement les compétences. Il s'agit également de veiller à ce que le travail paie – pour tous les travailleurs. Il s'agit d'avoir de bonnes conditions de travail pour touss, y compris les travailleurs de plateformes. Il s'agit de l'égalité des chances et de l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, ainsi que pour toutes les personnes sans distinction de couleur. Il s'agit de mettre fin à la pauvreté des enfants, car tous les enfants naissent égaux, quelle que soit l'origine de leurs parents.

C'est ce que je voulais dire, au tout début de mon mandat, lorsque j'ai dit que nous devions réconcilier la dimension sociale et le marché dans notre économie.

C'est la tradition européenne de l'économie sociale de marché. Une idée née dans la pensée de l'Union européenne, et qui est devenue un patrimoine européen commun.

 

Chers invités,

les Grandes Conférences Catholiques sont nées en 1931, au milieu d'une autre grande crise pour notre continent. Et elles ont contribué à diffuser les idées de liberté et d'équité sociale sur le continent.

À cette même époque, dans les années 1930, le philosophe français Emmanuel Mounier avait averti que la crise en Europe n'était pas qu'une crise économique. C'était une crise politique, qui appelait également une réponse politique. Mounier a écrit – et je cite – «l'économique ne peut se résoudre séparément du politique et du spirituel».

La crise d'aujourd'hui est de nature très différente. Mais les paroles de Mounier restent vraies. La relance économique a besoin d'une âme.

Elle doit rétablir « la valeur » économique tout en étant fidèle « aux valeurs » fondatrices de l'Europe.

Les valeurs de l'économie sociale de marché. Les valeurs du progrès social et scientifique.

C'est ma conception de la politique. Celle que j'aimerais transmettre à la prochaine génération.

 

Je vous remercie et je vous souhaite un bon travail pour les futures décennies.